L'océan plus chaud affaiblit la circulation atmosphérique

À l'équateur, la circulation atmosphérique gouverne le climat tropical et influe sur le climat mondial. Sa modification peut provoquer par exemple sécheresses et inondations loin des tropiques. Une étude révèle que cette boucle atmosphérique s’est affaiblie durant ces 60 dernières années, modifiant ainsi les zones d’intenses précipitations.

Le climat tropical est instable. Dépendant des interactions entre les océans et l’atmosphère, il est en particulier modulé par la boucle atmosphérique, appelée cellule de Walker. Dans le Pacifique, la circulation de Walker induit une différence de température d’est en ouest le long de l’équateur. Cette boucle convective est modifiée durant l’oscillation Enso, le mode principal de variabilité climatique naturelle. Durant un événement El Niño par exemple, le changement dans la circulation de Walker provoque de dramatiques inondations en Amérique du Sud, et d’intenses sécheresses en Australie. Les études actuelles suggèrent que cette circulation s’est affaiblie depuis ces 60 dernières années.
Sous les tropiques, les conditions atmosphériques sont particulièrement instables, le climat régional est extrêmement sensible aux variations des interactions entre l’océan et l’atmosphère. Ainsi le changement d’un paramètre climatique (température, vent…), aussi infime qu’il soit, peut provoquer d’importants dérèglements climatiques. La température de surface des océans a globalement augmenté au cours du XXe siècle, mais cette tendance contient de nombreuses et régulières incertitudes spatiales. Si le développement des satellites depuis les années 1980 est une révolution pour les mesures climatiques, les données antérieures étaient mesurées manuellement à partir des bateaux, générant d’importants biais de mesures.
L'océan dirige l'affaiblissement de la circulation de Walker
Il est donc très difficile d’utiliser ces données dans les modèles numériques ou même de les analyser directement. Jusqu’alors, aucun modèle n’était capable de simuler correctement le changement de la circulation de Walker de ces 60 dernières années. L’affaiblissement de la cellule atmosphérique était pour l’heure attribué à la modification du cycle hydrologique forcée par le réchauffement climatique. Or, récemment, une équipe de l’International Pacific Research Center (IPCR) a montré à partir de 4 modèles atmosphériques couramment utilisés que l’affaiblissement de la circulation de Walker était engendré par la variation de la température des océans.
La température de surface des océans est maximale à l'équateur (en rouge-orangé) et diminue en remontant vers les pôles (en violet). Dans l'océan Pacifique équatorial, il y a un gradient de température entre l'est (plus froid) et l'ouest (plus chaud), généré par la circulation de Walker. Dans l'océan Indien, la configuration est inverse. En conséquence la région autour de l'Indonésie est soumise à d'intenses convections atmosphériques. Mais d'après cette étude, la zone de convection atmosphérique se déplace vers le centre du Pacifique.
La température de surface des océans est maximale à l'équateur (en rouge-orangé) et diminue en remontant vers les pôles (en violet). Dans l'océan Pacifique équatorial, il y a un gradient de température entre l'est (plus froid) et l'ouest (plus chaud), généré par la circulation de Walker. Dans l'océan Indien, la configuration est inverse. En conséquence la région autour de l'Indonésie est soumise à d'intenses convections atmosphériques. Mais d'après cette étude, la zone de convection atmosphérique se déplace vers le centre du Pacifique. © Planetary Visions
Dans l’article publié cette semaine dans le magazine Nature, les scientifiques expliquent comment, malgré l’incertitude des mesures, ils sont arrivés à cette conclusion. Hiroki Tokinaga, premier auteur de l'article et expert dans l’analyse des données d’archives, a décelé deux séries de mesures de température des mers continues et fiables. Il s’agit de données obtenues à partir de deux techniques différentes : le prélèvement direct depuis un bateau et la mesure de la température nocturne de surface au-dessus des océans. « Extraire les biais des mesures était tout de même un défi, mais nous avons vu que ces mesures, obtenues bien différemment, étaient en accord sur toute la période et soutenues par les observations de températures de sous-surface » explique-t-il.
Un El Niño permanent ?
Les modèles numériques, calibrés avec ces données de température, ont alors représenté assez fidèlement l’affaiblissement de la circulation de Walker. Ils diagnostiquent de façon robuste le déplacement de la zone convective de l’Indonésie vers le centre du Pacifique. « Nos expériences montrent que le principal moteur du changement dans la circulation de Walker est la modification graduelle de la température de surface vers un état permanent El Niño. »
La circulation de Walker s’affaiblit durant les événements El Niño, ou s’intensifie durant les épisodes La Niña, c’est-à-dire tous les 2 à 5 ans. Mais cette étude montre que ces 60 dernières années, la boucle atmosphérique aurait plutôt évolué vers un état El Niño permanent. « À notre grande surprise les deux séries de mesures ont montré que la température de surface à travers l’Indopacifique n’a pas augmenté uniformément avec le réchauffement climatique, mais que le contraste de température a diminué de 0,3 à 0,4 °C, comme durant les événements El Niño. »
D’après l’équipe de l’IPCR, ces résultats ne peuvent établir si ces changements sont dus à la variabilité naturelle ou anthropique mais ils montrent que le ralentissement de la cellule est lié aux processus océaniques plus qu’atmosphériques. Le chercheur Shang-Ping Xie développe : « Les impacts globaux du ralentissement de la circulation de Walker durant un événement El Niño sont bien connus (inondations et sécheresses dans certaines régions du monde). Mais comment le ralentissement graduel observé dans cette étude de la circulation de Walker influe le climat global doit encore être étudié ».

Par Delphine Bossy, Futura-Sciences