Le cycle de l’eau s'emballe

Selon une équipe australienne, l’intensification du cycle de l’eau due au changement climatique est sous-estimée par les modèles. Au cours des 50 dernières années, les régions les plus humides ont ainsi subi de plus en plus de précipitations tandis que les plus sèches sont devenues de plus en plus arides.



Alors que quinze millions de personnes souffrent actuellement du manque d’eau au Sahel, une étude parue dans la revue Science montre que l’aggravation de la sécheresse due au réchauffement climatique a été sous-estimée, et que d’une manière plus générale, l'impact du changement climatique sur le cycle de l'eau n'a pas été assez pris en compte dans les modèles. « Au cours de ces cinquante dernières années, le cycle de l’eau s’est intensifié de 4%, rendant les régions humides de plus en plus humides et les zones sèches, de plus en plus arides, avance ainsi Paul Durack, océanographe au Lawrence Livermore National Laboratory et auteur de l’étude. Une accélération qui s’avère deux fois plus importante que celle jusqu’ici déduite des modèles climatiques. »
L’intensification du cycle de l’eau est une conséquence connue du réchauffement climatique, mais le phénomène est très difficile à évaluer. Alors que les modèles climatiques utilisés actuellement considèrent une intensification d’environ 2% au cours des 50 dernières années, d’autres études avaient déjà montré que cette valeur pouvait être sous-estimée. En apportant pour la première fois des données chiffrées, ces nouveaux résultats semblent confirmer cette hypothèse.
Réchauffement climatique et cycle de l’eau
Le réchauffement climatique entraîne une hausse de l’évaporation et donc de l’humidité dans l’atmosphère. Par voie de conséquence, les précipitations augmentent elles aussi. Au final, c’est bien le cycle de l’eau qui s’accélère. Mais à l’échelle de la planète, ce phénomène n’est pas uniforme : certaines régions enregistrent de plus en plus de précipitations, d’autres une sécheresse accrue.

Quand l'océan révèle le cycle de l'eau


L’originalité de ces travaux provient également de la source des données : elles émanent de l’océan. De nombreuses études s’appuient en effet sur les relevés de stations météorologiques terrestres. Or, celles-ci ne couvrent qu’une surface réduite, et ne permettent pas de savoir s’il a plu entre deux stations.

L’océan, en revanche, couvre 71% du globe, contient 97% de l’eau terrestre et réceptionne 77% des précipitations. Il s’agit en outre d’un système « connecté » (par les courants océaniques) qui autorise des observations plus complètes.
« Pour étudier l’évolution des précipitations et de l’évaporation depuis 50 ans, nous nous sommes ainsi intéressés à la salinité des océans, explique Paul Durack. Plus il y a de précipitations au-dessus de l’océan, moins sa surface est salée ; plus il y a d’évaporation, plus elle est salée. La salinité joue donc un rôle d’empreinte du cycle de l’eau terrestre et en révèle les mécanismes. »
Depuis 1874, les océanographes parcourent les mers, relevant profondeur, salinité et température. L’accumulation de ces données historiques, complétées par celles enregistrées par 3500 bouées Argo qui dérivent dans les océans du globe depuis 2002, a permis d’établir une carte de l’évolution de la salinité de surface des océans depuis 50 ans.

Surestimation ?


 Si le cycle de l’eau s’est intensifié depuis 50 ans, les chercheurs tentent une extrapolation. Ils estiment ainsi que si le réchauffement global atteignait 2°C – limite à laquelle souhaite se limiter les États qui ont signé l’accord de Copenhague –, l’intensification du cycle de l’eau serait proche de 16%.Pour Kevin Trenberth, climatologue au National Center for Atmospheric Research à Boulder aux États-Unis, cette estimation est exagérée : le déséquilibre entre le grand nombre de données obtenues par le réseau Argo depuis une dizaine d’années et le peu de données datant d’il y a 50 ans entraîne un biais dans l’analyse statistique.
« Par ailleurs, cette étude mélange un peu rapidement les deux phénomènes d’évaporation et de précipitation au travers du seul critère de la salinité. L’étude de la l’océan ne peut permettre à elle seule d’aboutir à de telles conclusions sur le cycle de l’eau, estime-t-il. Cette recherche représente malgré tout une avancée importante pour les climatologues et c’est l’ensemble des différentes observations faites au niveau de l’atmosphère et de l’océan qui permettra d’avoir une meilleure connaissance des phénomènes, tempère-t-il. »

Une piste à confirmer

Ces résultats doivent maintenant être confirmés par d’autres équipes de recherche. Paul Durack souhaite aussi s’intéresser aux modèles climatiques plus récents afin de savoir s’ils présentent des résultats plus proches de ces observations que ceux utilisé jusqu'alors. Ces nouveaux modèles tiendront compte des découvertes scientifiques faites depuis le dernier rapport du GIEC en 2007. Le satellite Aquarius, mis en orbite en juin dernier par la NASA, mesure la salinité à la surface de l’océan. Les données qu’il récolte sont encore en cours de calibrage mais permettront aux scientifiques d’améliorer leurs estimations.

« J’espère que les nouvelles connaissances sur l’évolution du climat et les conséquences observées vont pousser les responsables politiques présents au sommet sur le climat qui aura lieu à Rio fin juin à prendre de bonnes décisions », argue Paul Durack.

Anaïs van Ditzhuyzen