Entrée de la grotte de Denisova dans le massif de l'Altaï, en Sibérie |
Un séquençage « haute qualité »
« À partir d’une petite phalange, nous avons obtenu un séquençage
du génome de qualité équivalente à ce que l’on obtient pour des
personnes actuelles », explique Svante Pääbo, généticien
évolutionniste à l’Institut Max Plank, en Allemagne. Un exploit rendu
possible grâce à la préservation exceptionnelle du matériel génétique à
l’intérieur de la phalange. Cette dernière contient 70% d’ADN endogène
contre 5% en moyenne seulement pour des fossiles lambdas. Le chercheur
en a profité pour mettre au point une nouvelle technique d’amplification
génétique qui consiste à séparer les deux brins complémentaires de la
double-hélice de l’ADN, puis à les copier séparément. Chaque brin
synthétisé est ensuite rattaché à l’extrêmité du fragment d’origine
avant d’être copié à son tour. Habituellement, un séquençage de génome
se fait à partir d’un simple brin d’ADN plutôt que deux. Mais la
technique traditionnelle provoque une destruction partielle du matériel
génétique, ce que les paléogénéticiens ont voulu éviter à tout prix.
Phalange de l'homme de Denisova en équilibre sur une phalange humaine. |
Quel âge peut bien avoir l’homme de Denisova ? Pour répondre à cette question, le fragment de phalange ne contient pas suffisamment de matière organique, rendant impossible toute datation au carbone 14. Les chercheurs de l’Institut Max Planck ont donc contourné le problème. En comparant le nombre de mutations génétiques chez l'homme moderne et chez l'homme de Denisova, ils ont pu évaluer l'âge du fossile. Cette méthode reste sujette à débat chez les paléogénéticiens car elle suppose un rythme de mutations identique entre deux espèces distinctes. De cette manière, les chercheurs ont estimé que le fossile avait entre 74 000 et 82 000 ans, contre 30 000 à 50 000 ans selon de précédentes études. La même méthode a permis à l'équipe de Svante Pääbo d'évaluer la période de séparation entre l'homme moderne et l'homme de Denisova. Elle aurait eu lieu il y a 170 000 à 700 000 ans.
Dénisoviens, cousins des Papous
En comparant le génome extrait du doigt avec celui de différents
peuples actuels, les auteurs de l’étude confirment ce dont ils s'étaient
aperçus en 2010 avec l'analyse d'une petite séquence d'ADN.
À savoir que les hommes de Denisova et les hommes modernes se sont
métissés il y a plusieurs centaines de millers d’années. Certaines
populations actuelles de Mélanésie ont ainsi hérité des gènes
dénisoviens. Parmi elles : les habitants de Nouvelle-Guinée, les
aborigènes d’Australie et d’autres populations des îles d’Asie du
Sud-Est. Les plus proches étant les Papous, dont 6% du génome est issu
de l’homme de Denisova.
Manipulation d'extraction de l'ADN |
Pour résoudre ce paradoxe, John Hawks, un anthropologue biologiste de l'université du Wisconsin interrogé par le magazine Nature, propose un scénario migratoire dans lequel des groupes de Dénisoviens et d’hommes modernes se seraient croisés et métissés en Asie centrale. Les hommes modernes auraient ensuite continué leur colonisation vers les îles d’Océanie où ils auraient répandu leurs gènes. Une deuxième vague migratoire d’hommes modernes issus d’Afrique aurait déferlé bien plus tard en Asie pour donner naissance aux peuples asiatiques actuels. Un tel scénario nécessite toutefois des études génétiques complémentaires approfondies avant d’être validé.
Une exctinction pour manque de diversité
Un seul génome peut révéler la diversité génétique d’une population
toute entière. L’homme de Denisova ne déroge pas à cette règle. Les
chercheurs ont découvert que la diversité génétique chez les Dénisoviens
n’atteignait que 26% à 33% de celle des populations asiatiques
actuelles. Or, cette diversité combinée à la sélection naturelle
permettent de s’adapter aux changements dans l’environnement. Selon les
auteurs de l'étude, le manque de diversité génétique chez les
Dénisoviens pourrait donc expliquer « la chute drastique des populations dénisoviennes au moment où l’homme moderne a commencé à s’étendre ». Ainsi, pour les chercheurs, la faible diversité génétique de l'homme de Denisova serait à l'origine de son extinction.
par Gautier Cariou,