L'ADN des Dénisoviens continue de livrer ses secrets

Une nouvelle technique a permis de séquencer, avec une très haute précision, l’ADN de l’homme de Denisova, un cousin de Neanderthal. Ce matériel génétique met en lumière de nouveaux liens entre les Dénisoviens et les hommes actuels.
Entrée de la grotte de Denisova dans
le massif de l'Altaï, en Sibérie
C’est un petit bout de doigt pour l’homme de Denisova mais un grand pas pour les paléogénéticiens. Une phalange et une dent retrouvées en 2008 dans la grotte de Denisova, dans le massif sibérien de l’Altaï, avaient révélé l’existence d’un tout nouveau groupe d’hommes : les Dénisoviens. À partir de ce morceau de doigt, une équipe de paléogénéticiens vient de réaliser un séquençage complet et « haute qualité » de l’ADN dénisovien en mettant en place une nouvelle technique d’amplification du matériel génétique. Leurs travaux ont été publiés le 30 août dans la revue américaine Science.
Un séquençage « haute qualité »
« À partir d’une petite phalange, nous avons obtenu un séquençage du génome de qualité équivalente à ce que l’on obtient pour des personnes actuelles », explique Svante Pääbo, généticien évolutionniste à l’Institut Max Plank, en Allemagne. Un exploit rendu possible grâce à la préservation exceptionnelle du matériel génétique à l’intérieur de la phalange. Cette dernière contient 70% d’ADN endogène contre 5% en moyenne seulement pour des fossiles lambdas. Le chercheur en a profité pour mettre au point une nouvelle technique d’amplification génétique qui consiste à séparer les deux brins complémentaires de la double-hélice de l’ADN, puis à les copier séparément. Chaque brin synthétisé est ensuite rattaché à l’extrêmité du fragment d’origine avant d’être copié à son tour. Habituellement, un séquençage de génome se fait à partir d’un simple brin d’ADN plutôt que deux. Mais la technique traditionnelle provoque une destruction partielle du matériel génétique, ce que les paléogénéticiens ont voulu éviter à tout prix.
Phalange de l'homme de Denisova en équilibre sur une phalange humaine.
L’analyse du génome a permis de dresser un portrait parcellaire de l’homme de Denisova. La phalange sibérienne appartiendrait à une fillette à la peau noire, aux cheveux bruns et aux yeux marron. Mais l’ADN ne suffit pas à lever le voile sur l’aspect physique des Dénisoviens. Seule la découverte d’un crâne permettrait de se faire une idée précise de leur physionomie. Svante Pääbo et son équipe pensent que de tels ossements pourraient bien se trouver en Chine.
Quel âge peut bien avoir l’homme de Denisova ? Pour répondre à cette question, le fragment de phalange ne contient pas suffisamment de matière organique, rendant impossible toute datation au carbone 14. Les chercheurs de l’Institut Max Planck ont donc contourné le problème. En comparant le nombre de mutations génétiques chez l'homme moderne et chez l'homme de Denisova, ils ont pu évaluer l'âge du fossile. Cette méthode reste sujette à débat chez les paléogénéticiens car elle suppose un rythme de mutations identique entre deux espèces distinctes. De cette manière, les chercheurs ont estimé que le fossile avait entre 74 000 et 82 000 ans, contre 30 000 à 50 000 ans selon de précédentes études. La même méthode a permis à l'équipe de Svante Pääbo d'évaluer la période de séparation entre l'homme moderne et l'homme de Denisova. Elle aurait eu lieu il y a 170 000 à 700 000 ans.
Dénisoviens, cousins des Papous
En comparant le génome extrait du doigt avec celui de différents peuples actuels, les auteurs de l’étude confirment ce dont ils s'étaient aperçus en 2010 avec l'analyse d'une petite séquence d'ADN. À savoir que les hommes de Denisova et les hommes modernes se sont métissés il y a plusieurs centaines de millers d’années. Certaines populations actuelles de Mélanésie ont ainsi hérité des gènes dénisoviens. Parmi elles : les habitants de Nouvelle-Guinée, les aborigènes d’Australie et d’autres populations des îles d’Asie du Sud-Est. Les plus proches étant les Papous, dont 6% du génome est issu de l’homme de Denisova.
Manipulation d'extraction de l'ADN
Le séquençage complet du génome extrait de la phalange a permis de mettre le doigt sur un fait surprenant : les populations actuelles d’Asie de l'Est ne possèdent presque pas de gènes en commun avec l’homme de Denisova mais partagent plus de gènes avec Neanderthal que les populations européennes. Or, étant donné la migration probable des Dénisoviens de la Sibérie vers l'Océanie, les chercheurs s'attendaient à retrouver les traces de leur passage dans le génome des populations asiatiques.
Pour résoudre ce paradoxe, John Hawks, un anthropologue biologiste de l'université du Wisconsin interrogé par le magazine Nature, propose un scénario migratoire dans lequel des groupes de Dénisoviens et d’hommes modernes se seraient croisés et métissés en Asie centrale. Les hommes modernes auraient ensuite continué leur colonisation vers les îles d’Océanie où ils auraient répandu leurs gènes. Une deuxième vague migratoire d’hommes modernes issus d’Afrique aurait déferlé bien plus tard en Asie pour donner naissance aux peuples asiatiques actuels. Un tel scénario nécessite toutefois des études génétiques complémentaires approfondies avant d’être validé.
Une exctinction pour manque de diversité
Un seul génome peut révéler la diversité génétique d’une population toute entière. L’homme de Denisova ne déroge pas à cette règle. Les chercheurs ont découvert que la diversité génétique chez les Dénisoviens n’atteignait que 26% à 33% de celle des populations asiatiques actuelles. Or, cette diversité combinée à la sélection naturelle permettent de s’adapter aux changements dans l’environnement. Selon les auteurs de l'étude, le manque de diversité génétique chez les Dénisoviens pourrait donc expliquer « la chute drastique des populations dénisoviennes au moment où l’homme moderne a commencé à s’étendre ». Ainsi, pour les chercheurs, la faible diversité génétique de l'homme de Denisova serait à l'origine de son extinction.