La pollution des eaux par des médicaments pourrait avoir des conséquences insoupçonnées sur les poissons. À forte dose, la fluoxétine entrant dans la composition du Prozac pousserait des têtes de boule mâles à tuer les femelles. Et le 17-β-œstradiol, une hormone de synthèse, ralentirait les larves de cette même espèce, ce qu’apprécient les prédateurs !
De nombreuses molécules entrant dans la composition de médicaments terminent leur vie au sein d’écosystèmes aquatiques.
Excrétées par les patients, elles ne sont toujours pas à ce jour
captées par les stations d’épuration et se retrouvent dans
l’environnement. Malheureusement, plusieurs cas l’ont déjà démontré, ces
substances impactent la faune. Reste à savoir comment.
Le cas des œstrogènes synthétiques entrant dans la fabrication des pilules contraceptives a déjà suscité de nombreuses attentions. Les œstrogènes seraient ainsi impliqués dans la féminisation
des populations de poissons en certains lieux, ce qui pourrait à terme
perturber la reproduction des espèces concernées. Un deuxième effet du
17-β-œstradiol vient d’être dévoilé par Dan Rearick de la St. Cloud State University
(États-Unis) : les larves de poissons exposées à ce polluant perdraient
en réactivité, ce qu’apprécieraient les prédateurs ! Un peu trop
d’ailleurs…
Des larves de poissons qui fonctionnent au ralenti
Des larves de têtes de boule (Pimephales promelas) exposées à 0, 20 ou 100 nanogrammes par litre (ng/l) de 17-β-œstradiol
ont été placées dans un aquarium puis confrontées à l’arrivée simulée
d’un prédateur. L’analyse des films réalisés à haute vitesse a ensuite
permis aux chercheurs de calculer les temps de réponse des différents
groupes. Résultat, les poissons exposés à l’hormone de synthèse sont plus lents que les autres. Ce changement peut-il avoir des conséquences sur leur survie ?
Le poisson tête de boule (Pimephales promelas) vit naturellement dans les eaux tempérées de l'Amérique du Nord. Il a récemment été introduit en Europe où il est localement considéré comme une espèce invasive. Il est apprécié par les pêcheurs qui l'utilisent comme appât. © Utah Division of Wildlife Resources |
Pour répondre à cette question, des groupes composés
de 10 larves saines et de 10 larves contaminées ont été placés dans un
aquarium en présence d’un prédateur. Le crapet arlequin (Lepomis macrochirus)
était alors autorisé à déguster 10 proies de son choix avant l'arrêt
des expériences. Les chercheurs ont ensuite regardé à quelle catégorie
appartenaient les survivants. Dans 55 % des cas, ils n’avaient pas été
exposés à l’hormone
synthétique, contre 45 % pour la situation inverse. La différence est
faible mais suffisante selon un modèle de population multigénérationnel
pour provoquer la disparition rapide des individus contaminés.
Rien ne vaut l’expérimentation ! C’est probablement
ce que se sont dit les scientifiques par la suite. Un lac a
volontairement été contaminé au 17-β-œstradiol. La population des têtes de boule a alors très rapidement diminué, validant les résultats du modèle. Les poissons
exposés à l’hormone voient ainsi leur reproduction et, chose nouvelle,
leur réactivité, perturbées. Selon une étude complémentaire, l’œstrogène
de synthèse agirait directement sur le cerveau des larves.
Le Prozac pourrait pousser les poissons au massacre
La pilule contraceptive n’est pas le seul médicament en cause dans cette problématique. Rebecca Klaper de l’University of Wisconsin (États-Unis)
s’est ainsi intéressée au cas de la fluoxétine, une molécule entrant
dans la composition du Prozac. Une fois encore, les poissons têtes de
boule ont servi de cobayes, notamment car leur cycle de reproduction est
complexe. Les mâles se chargent de la fabrication du nid et de
l’entretien des œufs déposés par les femelles. Cette situation
changerait en présence du polluant.
Dans un milieu à concentration élevée (mais observée dans l’environnement) de fluoxétine,
les mâles prendraient plus de temps pour faire le nid tout en
négligeant un peu la présence des femelles. La situation s’aggraverait
lorsque la concentration en polluant est multipliée par 10, les poissons
du sexe opposé étant alors totalement ignorés. Pire, les femelles
seraient tout simplement tuées par les mâles lorsque la concentration en
fluoxétine augmente encore ! L’avenir de cette espèce est compromis si
la pollution des eaux par les médicaments n’est pas rapidement mieux contrôlée.
Ces résultats, qui s’ajoutent à une longue liste d’exemples similaires, ont été présentés durant la réunion annuelle de la North American division of the Society of Environmental Toxicology and Chemistry (Setac) qui vient d’avoir lieu à Long Beach, en Californie.
Par Quentin Mauguit, Futura-Sciences