Comment les protéines coupent la faim?

Une équipe de neurobiologistes français vient d’élucider le mécanisme par lequel l’ingestion de protéines exerce un effet coupe-faim. Cette découverte permet d’envisager une meilleure prise en charge, voire un traitement, des patients obèses ou en surpoids.


Certains vendeurs de régime minceur en ont fait leur fonds de commerce – souvent jusqu’à l’escroquerie – mais les faits sont là : un repas riche en protéines entraîne une atténuation prolongée de la sensation de faim. En analysant en détail les échanges entre le système digestif et le cerveau initiés par les protéines alimentaires, l’équipe de Gilles Mithieux, directeur de l’unité Inserm 855 « Nutrition et cerveau » à Lyon, est parvenue à élucider les mécanismes biologiques responsables de cet effet coupe-faim. Ces résultats viennent d’être publiés dans la revue Cell.

Contre la faim, le tartare bat la frite

Le rôle des signaux hormonaux et nerveux émis par l’estomac et les intestins dans la régulation de l’appétit est établi depuis longtemps. On sait par exemple que la distension des parois de l’estomac, suite à l’absorption de nourriture, entraîne la libération de plusieurs hormones qui bloquent la sensation de faim. Gilles Mithieux et ses collaborateurs ont voulu élucider un phénomène plus spécifique mais bien connu : pour un apport équivalent en calories, on se sent rassasié plus longtemps après un repas riche en protéines qu’après un repas riche en glucides ou en lipides.
Protéines et peptides
Les protéines alimentaires, que l’on trouve majoritairement dans la viande, le poisson, les œufs ou encore certains produits céréaliers, sont constituées de longues chaînes d’acides aminés. Lors de la digestion, ces chaînes sont découpées en fragments plus petits appelés oligopeptides.

Quand l’intestin se sucre…

Des travaux antérieurs ont montré que la sensation prolongée de satiété qui suit un repas hyperprotéiné était probablement liée à la synthèse de glucose à partir de protéines et de lipides présents dans l’intestin. On pensait jusqu’à peu que ce mécanisme – appelé néoglucogenèse – était réservé aux périodes de jeûne et se déroulait exclusivement au niveau du foie ou des reins. Il est désormais établi que l’ingestion de protéines déclenche, juste après les périodes d’assimilation des repas, une néoglucogenèse au niveau de l’intestin.  
Après la néoglucogenèse, le glucose passe dans la circulation sanguine où il est reconnu par les glucorécepteurs qui tapissent les parois des vaisseaux sanguins. À partir d’un certain niveau de sollicitation, ces récepteurs envoient un signal inhibiteur aux centres cérébraux de l’appétit. Ainsi, alors qu’au niveau du foie et des reins la néoglucogenèse sert avant tout à alimenter les autres organes en sucre, au niveau de l’intestin, elle délivre un message « coupe-faim » à distance des repas, caractéristique des effets dits « de satiété ».

Une double boucle qui prolonge la satiété

Très récemment, un autre type de récepteur a été découvert sur la paroi de la veine porte ( le vaisseau qui transporte, de l’intestin au foie, le sang chargé des nutriments digérés) : les récepteurs mu-opioïdes (RMO) portaux. Les RMO – que l’on retrouve en grande quantité au niveau du cerveau, et qui sont surtout connus pour leur rôle dans les centres cérébraux du plaisir et dans les effets antidouleur de la morphine –, réagissent également à la présence d’oligopeptides issus de la digestion des protéines.
Le mécanisme de l'effet coupe-faim des protéines
En étudiant le comportement spécifique de ces RMO portaux, Gilles Mithieux et son équipe ont mis en évidence une double boucle neurophysiologique qui accompagne la digestion des protéines et bloque durablement la faim. Dans un premier temps, les oligopeptides acheminés depuis l’intestin jusqu’à la veine porte agissent sur les récepteurs mu-opioïdes ; ces récepteurs envoient alors un message, via le système nerveux périphérique, vers le cerveau.
Dans un second temps, le cerveau renvoie un message-retour qui enclenche la synthèse de glucose dans l’intestin (néoglucogenèse). Ce glucose finit par atteindre la circulation sanguine, ce qui active les glucorécepteurs, entraînant l’envoi de messages « coupe-faim » vers les zones du cerveau contrôlant la prise alimentaire. La néoglucogenèse étant un mécanisme lent, l’effet de satiété perdure ainsi plusieurs heures après le repas.

Gare aux régimes hyperprotéiques

L’identification des récepteurs mu-opioïde de la veine porte et la caractérisation de leur rôle dans la néoglucogenèse intestinale permet d’envisager de nouvelles pistes thérapeutiques dans le traitement du surpoids et de l’obésité. L’objectif des chercheurs est donc désormais de déterminer la façon d’agir sur ces récepteurs pour réguler durablement la sensation de satiété.
Toutefois, s’il semble bien que les régimes « minceur » basés sur une alimentation hyperprotéique exploitent – de manière totalement empirique – le mécanisme élucidé par ces travaux, Gilles Mithieux affirme être «  un adversaire des régimes (type Dukan et consors...) qui, pour des raisons scientifiquement établies, font perdre du poids rapidement, car l'échec à long terme est quasi certain ». Selon lui, « sollicités trop fortement, les récepteurs RMO peuvent devenir insensibles. Il faudrait donc trouver le meilleur moyen de les activer « modérément », afin de garder leur effet bénéfique à long terme sur le contrôle de la prise alimentaire ».